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[Lettre ouverte]

Je suis fatiguée. Fatiguée de lire et d’entendre tant de mensonges. Fatiguée de faire face à tant d’agressivité. Fatiguée de tant de mauvaise foi.


Je vous vois partager des panneaux pour affirmer haut et fort votre soutien aux agriculteurs. Je me demande pourquoi la filière bovine wallonne est en détresse vu le nombre hallucinant de personnes qui soutiennent tout à coup les agriculteurs wallons. Sans doute les mêmes qui se préoccupaient tout à coup du sort des sans-abri belges au moment de l’arrivée massive des réfugiés. Tiens, mais elles sont où ces personnes-là aujourd’hui d’ailleurs ?


Combien d’entre vous achètent vraiment leur viande chez le petit fermier du coin, après avoir visité son exploitation ? Combien d’entre vous prennent le temps de se renseigner sur la provenance de leur viande ? Combien d’entre vous ont le courage de regarder les vidéos de sensibilisation jusqu’au bout et faire leurs choix en toute connaissance de cause ? Et surtout, surtout, combien d’entre vous partagent ces panneaux pour réellement soutenir les agriculteurs et pas uniquement pour provoquer, je cite, «ces putains d’activistes qui nous emmerdent avec leur morale à deux balles».


Vous pensez que je me lève le matin en pensant à vous ? En me disant que je vais partager des informations sur la maltraitance, sur les traditions barbares, sur les conditions d’élevage et d’abattage, uniquement pour vous emmerder ? Sérieusement ? Vous croyez que c’est à vous que je pense quand je défends un mode de vie sans souffrance animale/humaine ?


Malgré ma sensibilité, malgré mon cœur déjà en tout petits morceaux après des années de bénévolat, je les regarde moi les vidéos de L214 et des autres associations, je les regarde jusqu’au bout. Et je n’en dors plus. Et je pleure quand je vais faire mes courses et que je me retrouve devant une «cave de maturation» où l’on expose des carcasses parce que derrière ces carcasses je vois des regards implorants et j’entends des cris qui me déchirent jusqu’au plus profond de mon âme. Je regarde, jusqu’au bout, les yeux grand ouverts pour donner du sens à ce que je fais, à ce pour quoi je me bats. Je vous invite à visionner cette vidéo-ci, cela vous demandera un peu plus de courage que de partager un panneau de soutien : http://ianimal360.com/... Vous hésitez à l’idée de cliquer sur le lien ? Demandez-vous pourquoi.


Je ne pense pas à vous quand je publie des informations révoltantes qui peuvent secouer, qui peuvent réveiller, qui peuvent sensibiliser.


Je pense aux milliards d’animaux qui survivent dans des conditions de merde, des conditions tellement éloignées de leurs besoins que la mort est pour eux une délivrance. Je pense à ces «petits éleveurs du coin» qui aiment tellement leurs vaches qu’ils vont les inséminer encore et encore, leur ouvrir le ventre encore et encore et leur arracher leur bébé à peine né, encore et encore. Je pense à ces «petits éleveurs du coin» qui considèrent qu’enfermer une truie toute sa vie dans une cage minuscule est une avancée en matière de bien-être animal, tout comme la castration à vif ou le limage des dents des porcelets. Je pense à ces «petits éleveurs du coin» qui usent leurs animaux au maximum pour ne pas en perdre un centime. Je pense à ces «petits éleveurs du coin» qui élèvent des animaux tellement génétiquement modifiés que même la date de leur mort est prévue dans les calculs de rentabilité. Et je ne parle ici que des conditions d’élevage. Que dire des conditions de transport et des conditions d’abattage...


Il y a quelques mois, j’ai été visiter une ferme, une petite exploitation bovine dans un charmant petit village wallon, chez un petit éleveur du coin tellement charmant lui aussi que nous avons dû être accompagnés de la police du coin pour aller y saisir des vaches que «ce petit éleveur du coin qui aime ses animaux» laissait crever dans la merde.


Il ne faut pas mettre tous les agriculteurs/éleveurs dans le même panier me direz-vous. En effet…


Il y a quelques mois, j’ai regardé un cochon sauvé d’un petit élevage du coin dans les yeux. Je l’ai regardé dans les yeux au moment de son euthanasie. Il avait moins de deux ans et il aurait dû vivre une belle vie de cochon au Rêve d’Aby mais son corps était tellement déformé par l’industrie qui l’a fait naître qu’il ne pouvait plus tenir debout. Un maximum de viande pour un minimum d’os, rentabilité maximale. Ce n’est pas «le petit éleveur du coin qui aime tellement ses animaux» que ça a empêché de dormir. J’ai regardé Wilbur dans les yeux et je lui ai demandé mille fois pardon pendant qu’il titubait en criant.


Il ne faut pas mettre tous les agriculteurs/éleveurs dans le même panier me direz-vous. En effet…


Quand on se donne la peine de se renseigner, de chercher, de creuser un peu, on se retrouve face à des situations scandaleuses, inhumaines, insoutenables qui ne peuvent plus aujourd’hui être considérées comme des exceptions et qu’il faut dénoncer avec force pour faire vaciller les lobbys, les industries de la viande et du lait qui sont bien plus à l’origine du mal-être des agriculteurs que les «méchants vegans extrémistes qui vous obligent à changer vos habitudes en pointant un revolver sur votre tempe».


Ils disent quoi vos panneaux de soutien, ces panneaux qui affichent fièrement des morceaux de viande rouge sang ? Ils soutiennent qui ces panneaux ? Les agriculteurs ou votre estomac horrifié à l’idée de se passer de viande pendant 40 jours (biffez la mention inutile en toute honnêteté si vous en avez encore)... Quarante jours de découvertes gustatives qui vous permettraient de soutenir d’autres agriculteurs et d’autres «petits» indépendants qui essaient de rendre le monde meilleur, cela dit en passant.


Ils soutiennent qui vos panneaux ? Vous vous battez pour qui ? Pour quoi ?


Vos panneaux de soutien ne me provoquent pas. Ils ne m’énervent pas. Ils me rendent triste. Profondément triste.


Je soutiens les animaux, oui, une évidence, mais pas seulement. Je soutiens aussi les agriculteurs qui ont fait le choix d’une reconversion. Je soutiens les agriculteurs qui ont l’esprit suffisamment ouvert que pour pouvoir dialoguer et échanger. Je soutiens les agriculteurs qui ne sont pas uniquement attirés par le «toujours plus». Plus de profit, plus de rendement, plus d’agressivité, plus de haine.


Je soutiens les êtres vivants, dotés de sensibilité, d’émotions, capables d’empathie et de compassion, les êtres les plus faibles, qu’ils soient sur deux jambes ou quatre pattes. Les êtres que l’on prive d’une vie longue et belle, d’une vie digne, d’une vie tout simplement. Je soutiens ceux que l’on n’entend pas malgré leurs cris.


Vous emmerder est réellement la dernière de mes préoccupations. Ne vous en déplaise. Et si nos chemins doivent se séparer ici. Qu’il en soit ainsi.


L’ignorance est un luxe que je n’ai plus.

Isabelle Pour Wilbur, Alice & tous les autres


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